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Quelques nouvelles de la famille hébergée dans l’appartement du centre du Hautmont

Depuis le printemps dernier, à la demande d'une association, nous accueillons une famille réfugiée d'Afghanistan. Aymeric a recueilli leur témoignage.

Le 15 août 2021, l'histoire de l'Afghanistan bascule du côté obscur après le retrait de l'armée américaine. Les Talibans sont revenus à Kaboul. Des milliers de personnes ont cherché à fuir le pays.

Après 8 jours d’attente, accéder enfin à l’aéroport, le 22 août 2021, et nous envoler pour Paris.

Un an après, notre fils ainé se rappelle que « nous avons sauvé nos vies en laissant derrière nous tout ce que nous avions dans nos vies ». Son frère cadet se souvient qu’il était fatigué, exténué : sa seule envie était de retourner dormir dans sa chambre…

« Un étranger vivant en France entend souvent la question “pourquoi avez-vous quitté votre pays ?”, aussitôt suivie de “est-ce que votre pays vous manque ?”. Les deux traduisent généralement une authentique sollicitude. La compassion est accordée d'avance, tant paraît évident que vivre à quelques milliers de kilomètres de son lieu de naissance constitue forcément une déchirure que seuls peuvent justifier l'impératif de sauver sa vie des griffes d'un régime meurtrier, l'amour fou ou l'envie légitime (quoique déjà moins respectable) d'échapper à la misère. Qui oserait, alors, répondre “j'ai quitté mon pays sur un simple caprice et plus j'en suis loin, mieux je me porte” ou “je suis venu ici parce que votre herbe est plus verte et votre cuisine, plus raffinée” ? Or il y a une telle variété de raisons de partir, entre celle des gitans, celle de la Horde d’Or, des oies sauvages, des gamins en fugue, des femmes infidèles, des travailleurs immigrés et des prisonniers qui voient s’entrouvrir la porte de leur cellule, qu'il faudrait plutôt s'étonner qu'il existe encore des gens à rester sur place. Si les sédentaires se demandent ce qui fait courir les nomades, les nomades ont de la peine à comprendre pourquoi les sédentaires renoncent au monde entier, pourquoi, quand le climat devient hostile et que le gibier se fait rare, ils ne se déplacent pas vers les cieux plus cléments. »

Aleksandra Kroh – L’aventure du Bilinguisme [Editions l’Harmattan]

Je m’appelle Hezbullah Sultany et ma femme, Farida. Cela fait donc près d’un an que nous vivons en tant que réfugiés en France et que nos enfants y sont scolarisés. Avant, nous vivions à Kaboul. C’était avant… que les talibans ne reprennent le pouvoir en Afghanistan, après en avoir été chassés 20 ans plus tôt par l’armée américaine. Avant, nous étions heureux et avions la belle vie, menant de front nos métiers de cinéaste et de journaliste, présentatrice à la télévision régionale.

Bien que l’Afghanistan soit un pays du tiers monde, depuis ma naissance, j’ai été témoin de la guerre. Mon enfance, mon adolescence et ma jeunesse ont été marqués par la guerre, dont j’ignore hélas quand - et même si - elle se terminera un jour. L’Afghanistan est ma terre natale avec tous ses maux et ses démons, pourtant je l’aime. J’espère un jour retrouver mon pays en paix, y retourner vivre, et travailler dans ma ville natale.

« Turkestan, Afghanistan, Transcarpienne, Perse – pour beaucoup de gens, de tels noms évoquent seulement un mystérieux lointain, le souvenir d’aventures étranges, une tradition romanesque désuète. Pour moi, je l’avoue, il s’agit là des pièces d’un échiquier sur lequel se dispute la partie pour la domination du monde. »

Lord Curzon, vice-roi des Indes 1899-1906

Nous détestons la guerre, et tout ce qu’un pays souffre durant la guerre, en étant le théâtre de violences inouïes : les médias en apportent depuis des années tant de preuves qu’il faudrait être sourd et aveugle pour l’ignorer… Aux images des victimes de meurtres sauvages, des corps déchiquetés lors des attentats suicides, s’ajoutent encore celles des fillettes défigurées par l’acide que l’on leur jette au visage pour avoir commis le crime d’aller à l’école. Car le sort de femmes en Afghanistan est cruel comme nulle part ailleurs – à côté, l’Iran avec sa police des mœurs faisait figure d’havre de tolérance… avant que les évènements récents ne mettent enfin en lumière leur détresse. Tout cela suffit pour que les Afghans soient perçus comme des fanatiques sous-développés, des êtres sanguinaires, des arriérés culturels, corrompus et sournois. Peuvent-ils changer ? En ont-ils seulement le désir ? Effaré et désemparé, l’Occident a tendance à croire que l’Afghanistan se complaît à constituer une tâche noire sur la face du monde. De deux choses l’une : soit nous sommes un peuple atteint d’une exécrable tare génétique, soit il existe, dans notre passé lointain et récent, de quoi expliquer pourquoi il a sombré dans un tel abîme. La première hypothèse étant irrecevable, je me suis intéressé à la seconde, dans mon métier, en produisant des documentaires sur son histoire.  Le fait que l’Afghanistan soit le pays qui réussisse le mieux à m’agacer est un des rares indices de mes origines. J’aimerais que nous puissions voir un jour un monde où il n’y ait plus de guerre.

Alors que je devais le 15 septembre 2021 venir à Lille séjourner deux mois grâce à une bourse octroyée par l’Institut Français d’Afghanistan (IFA), mon pays s’est effondré, l’aéroport a été fermé, ce dont le monde entier a été témoin. En contact avec des collègues et amis français, j’ai eu le privilège de me réfugier à l’ambassade française de Kaboul, étant alors sous la menace de collaborateurs au nouveau régime à cause des films sur l’histoire de l’Afghanistan que je faisais. Mais après seulement cinq jours, l’ambassade n’a pu parvenir à transférer le groupe de collègues et amis artistes à l’aéroport parce que tout le personnel de l’ambassade française s’y était déjà échappé précipitamment.

Pour sauver à notre tour nos vies, nous avons dû chercher à gagner l’aéroport après nous être retrouvés en famille et hors d’atteinte des menaces qui pesaient sur moi. Après plusieurs jours d’attente dans des conditions désastreuses, nous avons fini par entrer dans l’aéroport : ce fut le 1er miracle. Parce qu’avec l’arrivée des talibans, le chaos régnait dans la ville : il n’y avait plus aucune loi, ni aucune sécurité. Malgré les sourires, si vous regardez attentivement la photo, vous voyez des visages inquiets et anxieux, qui pourraient vous rappeler La Joconde (si elle n’est pas recouverte de soupe à l’heure vous vous lirez ces lignes…). L’immigration et l’itinérance ne sont pas faciles lorsque votre patrie est sous le contrôle de l’ennemi. C’est une honte pour nous parce que nous ne pouvions rien faire. C’est également douloureux… très douloureux. Je me sens démuni parce que face à cette situation, je n’ai rien pu faire pour sauver mon pays. Nous avons dû nous enfuir à la sauvette, lâchement, et ça me donne des cauchemars la nuit. Je ne pouvais pas dire au revoir à ma mère. Ma sœur m’a interpellé : « frère, tu vas nous laisser seuls parmi les talibans ? » C’était très lourd pour moi. A bord du vol de l’armée française, mes larmes étaient glacées. Je ne savais rien de l’avenir qui allait se présenter à nous, rien du tout, mais nous volions à sa rencontre.

Je voudrais remercier tous les Français qui soutiennent les réfugiés de mille manières, et spécialement le Centre du Hautmont qui nous fournit un toit. Et même les bénévoles, déjà engagés à nos côtés pour nous épauler dans l’apprentissage du français et nous aider à trouver nos marques dans cette nouvelle aventure et reprendre en mains nos vies !